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 5. L'Equilibre de Kaen

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La Volonté de Kaen
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La Volonté de Kaen

Messages : 7168
Date d'inscription : 20/09/2009

5. L'Equilibre de Kaen Vide
MessageSujet: 5. L'Equilibre de Kaen   5. L'Equilibre de Kaen Icon_minitimeVen 24 Mai - 16:42

Kaen serrait les dents. Ses yeux aux pupilles de faune avaient mué pour emprunter les propriétés des grands rapaces. Et ils tremblaient. Tout son être, tendu dans cette dernière illusion qui devait leurrer la Déviante, retenait son souffle psychique.

*Elle doit y croire. Elle doit savourer sa victoire et s’en aller…*

Retenir sa psyché, penser peu, projeter avec mesure ce fantoche spectacle de sa défaite.

*Que tient-elle dans sa main ?...*

Horini répondit tout haut à cette pensée partagée malgré elle.

« Un amplificateur de psyché ! »

L’objet devait être très ancien d’après la rouille qui parcourait les vénules en arabesques ferreuses autour du petit tétraèdre de verre. Des volutes d’énergie bleutées tourbillonnaient lentement, presque nonchalantes dans leur prison cristalline. Un vieil amplificateur, oui, l’un des premiers jamais créés que Kaen eut le malheur de donner à sa Disciple il y a plus d’un siècle et qui se rappelait aujourd’hui à son mauvais souvenir.

Partir ! Se sauver ! Devenir poussière, devenir feu, invoquer un portail… l’esprit fatigué de la Déesse rebondissait contre ses options alors qu’une pointe de la pyramide ancestrale se brisait déjà. L’appel, irrépressible, du Multivers faisait crier sa psyché à travers les parois ténues de ses réalités. C’était bien plus que nécessaire pour que Jialle saisisse immédiatement l’emplacement exacte de la Déesse.

L’une des Arcanes interdites pulsa pour compresser la réalité autour de la sulfureuse Disciple avant de se dilater ailleurs. Le téléport n’avait duré qu’un souffle de trop pour Kaen. Incapable de rassembler à temps les mots qui trouveraient un sort salutaire car Jialle était déjà devant son ancienne maîtresse, à quelques pas, un bras tendu vers elle. Le cœur de la Déesse s’arrêta de battre lorsque son ennemie prononça la formule Kaenienne qui annihilait toute forme de magie autour d’elle.

Le temps ne s’arrêta pas mais devint si lourd qu’on eut dit qu’aucun événement ne pouvait s’arracher à sa gravité exceptionnelle.

Elles restèrent figées l’une en face de l’autre, tout aussi pétrifiées que les milliers de gravure qui les figuraient sur Centile.

« Tu as épuisé toute ton énergie Jialle,

- Je n’en ai plus besoin, »
rétorqua-t-elle sans ciller.

Leurs regards se croisaient. Quelque part, une aiguille trotte pour crever une autre seconde. Ici, les esprits s’affrontaient pendant une minute. Le vent soufflait-il ? Balayait-il leurs cheveux comme pour leur rappeler qu’il fallait agir ? Ou n’était-ce qu’Horini qui projetait son corps astrale entre ses deux amies de jadis et de maintenant en hurlant.

« Il suffit !! »

La Déviante ferma les yeux, trop attentive pour commettre l’erreur de croiser ceux de la Pieuse. Un sourire violent lui fendit le visage en deux. Une nouvelle fois, l’un de ses joyaux puisa dans sa propre réserve magique, comme le pouls d’un second cœur. Le sort invoqué grâce à l’artefact fit disparaître Jialle dans un autre mouvement de compression.

Kaen tremblait par a-coups.

Le Golem d’eau s’effondra sur lui-même en balayant la vallée de ses trombes d’eau implacables. Le monde s’écrasait.

Horini n’osa pas lire ce qu’il venait de se passer dans l’esprit de sa maîtresse. Aussi demande-t-elle :

« Qu’a-t-elle fait ? Qu’est-ce que…

- Elle sait désormais.

- Comment ça ?

- Elle connaît ma Source. J’étais trop faible pour lui résister… elle savait depuis le début que je me battrai par illusion… depuis le début elle cherchait à me fatiguer avant de pouvoir frapper.


La brune fronça les sourcils en roulant des yeux de droite et de gauche. Implications, causes et conséquences se démêlaient aussi vite
qu'une pelote de haine.


« C’est… cela ne peut pas. Elle ne peut pas avoir médité un plan aussi parfait. Elle…

- Oui, Horini, elle a été aidée. Seul Marmin a pu concevoir une telle stratégie. Mais qu’il ait divulgué ce plan à ses dépends ou consciemment, je ne peux me résoudre à y songer.

- Et que va-t-elle faire maintenant ? Qu’allons-nous faire si elle connaît ta Source ?»

Kaen délia les mots lentement comme pour en asséner la cruelle vérité avec plus de force ou se convaincre elle-même. Il serait si doux de pouvoir se réfugier dans l’illusion de l’optimisme, mais ce ne serait pas divin… Le mensonge est une bénédiction réservée aux mortelles.

« Maintenant, elle va tenter de mettre à bas le Culte. De saper les bases de la civilisation centilienne en s’attaquant à ses fondements les plus sacrés : les icones, les prophéties, les Ecritures,… Elle consumera la Foi du peuple dans un grand brasier païen.

Et alors nous… nous…


- Tu ne peux pas la laisser faire, Kaen ! Nous pouvons encore l’empêcher de t’atteindre !»

Pour la première fois depuis le début du combat, la Déesse tourna la tête posément vers sa Disciple. Elle opina du chef trois fois avec la lenteur propre aux traumatisés psychiques.

« Tu as raison. Centile est mon incarnat-lié, je lui interdirai tout accès au Monde-Père.»

Horini bougeait désormais sur l’herbe balayée par les brises gelées. Ses pas de spectre faisaient semblant de fouler le sol, ses lèvres astrales étaient mordues par ses dents fantômes.

« Mais… ne crois-tu pas que c’est ce qu’elle attend ? Si jamais elle n’apparaît plus sur Centile, le peuple suspectera quelque chose… Tu risques de fragiliser toi-même le Culte.

- C’est bien pour ça qu’aucun de nous ne pourra remettre les pieds sur Centile. Ni toi, ni Galu, ni Marmin, pas même Arken et encore moins moi-même. J’apparaîtrai une dernière fois au Sénat Impérial pour annoncer notre départ.

C’est à ce prix que nous pourrons contenir Jialle.»

Horini fut pris d’un chagrin et d'un sentiment d'injustice immense à l’idée d’être bannie de son propre monde. La vengeance de la Déviante s’abattait par un moyen insidieux et indirect, comme une signature.

« Mais… mais… le peuple Kaen ! Le peuple ne peut pas se guider tout seul. Si nous partons, le pouvoir temporel sera tout puissant, les exactions se multiplieront sans que nous puissions les contrôler, les lois ne respecteront plus le dogme, les centiliens n’auront plus de freins à leurs ambitions !

Ce sera comme avant la Purge, mais avec des technologies bien plus inquiétantes. L’injustice règnera partout sur Centile !

- Pas si nous remettons Centile entre les mains des bonnes personnes. Il est temps que nous rendions au peuple la Foi qu’il a mis en nous. Il y aura des héros qui se lèveront parmi le peuple. Des hommes et des femmes en qui nous devons croire à notre tour, et que nous devrons guider, aider, sauver de la mort s’il le faut.

Il y a des Centiliens qui sont fondamentalement bons. L’équilibre se maintiendra grâce à eux. Mais sous aucun prétexte, nous devons revenir en arrière. Il faut avancer et croire, Horini, croire. »


De nouveau, la petite brune se tint muette au-dessus du décor ravagé. Malgré toute sa puissance, il était de nombreux évènements contre lesquelles elle ne pouvait lutter. Elle pensait à Marmin qui avait peut-être trahi sa maîtresse, à Galu qui n’aurait sûrement cure de ce revirement tant son esprit était déjà ailleurs et à Arken aussi, ce vieux, cet aimant ermite qui se délecterait de l’échec de sa mère. Elle se sentait terriblement seule après tant d’années. L’union des Disciples n’avait pas résisté aux siècles et s’accrocher au souvenir d’une entente passée ne résoudrait pas les drames d’aujourd’hui.

« Tu as besoin de repos Kaen. »

-------

Une fleur de feu mordait la réalité près d’un pupitre d’argent. La salle de projection du Sénat Impérial était en ébullition : les diodes vertes, rouges, oranges ou blanches s’agitaient tout autour de la lumineuse antichambre du pouvoir. Kaen apparut, en armure d’apparat, plus belle et parfaite que jamais, peinturlurée du masque de la gravité solennelle.

La danse chamarée des luminions se termina presque aussitôt alors que le Président-Empereur Ethiel IV se matérialisa, à genoux, devant la Déesse.

Il est des jours qui font l’histoire, mais il semblait ce matin que c’était l’histoire qui avait bousculé Kaen. Son menton se releva lentement comme si elle s’adressait par delà ces murs à tout le peuple Centilien, à toute la Confédération et à ceux qui vivaient en-dehors.


« Sénateurs, Sénatrices, je vous parle aujourd’hui pour la dernière fois… »
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5. L'Equilibre de Kaen

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